La chasse : l’art de tuer

Si « la chasse endeuille toujours nos automnes » comme l’énonçait Marguerite Yourcenar, réjouissons-nous de son inéluctable extinction par perte d’effectifs de ses adeptes.
Bien moins d’un million trois cent mille comme le proclame la mensongère propagande du lobby, le loisir de mort recueille sans doute environ huit cent mille pratiquants, nombre soigneusement dissimulé par les dirigeants cynégétiques en mal de fièvre obsidionale et soucieux de maintenir sous influence une classe politique indigente qui devance les plus nocives exigences des chasseurs.
Malgré une forte propagande, malgré la réduction de moitié du coût du permis de chasser, l’art de tuer ne séduit plus guère.
Ce déclin s’explique par des raisons matérielles : les espaces naturels propices à la chasse se réduisent avec l’urbanisation, les infrastructures, l’assèchement des zones humides, tandis que la faune disparaît et s’artificialise.
Les rituels guerriers, le goût des armes à feu et d’une relative violence inhérente à l’activité chasse sont passés de saison.
Mais l’essentiel est moral. Nos contemporains souhaitent établir avec l’animal et la nature un autre lien que celui de la guerre d’extermination.
Chacun sait qu’un animal est un être sensible et que la nature se meurt. Plus question de cribler de plombs un être sensible et de participer au massacre de la biodiversité.
Reste quelques irréductibles qui aiment tuer.
L’abolition de la chasse loisir serait souhaitée par une majorité de citoyens.
Le monarque, entouré par sa cour d’oligarques et de mondains conservateurs, vit en rupture avec les aspirations démocratiques et se trouve prisonnier d’une frange ringarde de la société avec son petit monde de banquiers, d’écoles « sélectes » où se perpétuent les copinages et les mœurs de grands-veneurs.
Les gouvernants osent parler d’écologie à tous les peuples de la terre mais, en violation du droit, prorogent la chasse des oies en février, permettent le tir des courlis, des tourterelles des bois, le piégeage des petits oiseaux à la glu, les tirs de loups et tous les modes les plus cruels de chasse à l’instar des déterrages.
Un esprit léger pourrait s’interroger sur mon opposition à ce loisir déclinant de ruraux et de financiers snobinards.
Pourquoi débattre sur ce sujet marginal et ce d’autant que l’homme exerce, par ailleurs, d’autres violations du respect qu’impose le caractère sensible de l’animal ?
C’est qu’en notre temps et ici, en Europe, la chasse allie la souffrance et la mort d’un être et la récréation d’un tueur.
La faim ne fait pas sortir le chasseur de son logis pour procurer une quelconque nourriture à sa famille.
Chasser, ici et maintenant, c’est tuer par pur plaisir.
En cela, l’activité chasse rejoint dans l’abjection éthique la corrida où un animal est torturé pour la réjouissance de sadiques.
Chasse et tauromachie insultent la dignité humaine puisqu’il n’y a pas de dignité sans respect de l’autre et sans révolte face à la mort.
La mort est un scandale.
Tout ce qui vit la rejette d’où l’invention de la « vie éternelle » par les religions.
Cette promesse de négation de la mort assura, durant des millénaires, le triomphe de la doctrine du salut mystique.
De nos jours, cette promesse perd de sa crédibilité pour la plupart, d’où de nouveaux défis pour pallier au scandale de l’anéantissement de l’être.
J’effleure ici de grandes questions en relation directe avec l’acceptation ou le refus de la chasse loisir.
Supprimer une vie ne doit pas se faire sans une immense émotion et une profonde douleur morale.
Il faut une indécrottable infirmité du cœur pour ne pas le comprendre.
Nos dirigeants politiques sont-ils médiocres ?
Ils répondent à cette question avec éclat par la chasse.

Gérard CHAROLLOIS

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